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Astrig Siranossian - Dear Mademoiselle - Le Figaro

Astrig Siranossian, Nathanaël Gouin, Daniel Barenboïm: Dear Mademoiselle, tribute to Nadia Boulanger (Alpha). Dure loi que celle des anniversaires, qui permettent de sortir de leurs ombres des compositeurs le temps d'une saison, mais les laissent bien souvent retomber dans leur oubli relatif sitôt l'année refermée. C'est ce qu'a voulu éviter la violoncelliste Astrig Siranossian. Alors que l'on commémorait en 2019 les quarante ans de la disparition de Nadia Boulanger (un an après le centenaire de la mort de sa sœur cadette Lili), la jeune Lyonnaise, qui confie avoir appris connaître cette immense pédagogue en fréquentant la bibliothèque Nadia Boulanger du CNSM de Lyon, a voulu prolonger l'hommage au disque cette année. Un hommage qui passe, comme cela s'imposait, par ses élèves.

D'Astor Piazzola à Michel Legrand, en passant par Phil Glass ou Elliott Carter, l'influence décisive de celle que l'on surnommait «Mademoiselle» au siècle dernier a opéré dans une variété de styles et d'esthétiques absolument inimaginables... Et pour tout dire sans doute unique dans l'histoire de la musique. C'est ce qu'a voulu souligner l'interprète en confrontant des pièces aussi diverses que le célébrissime Grand Tango de Piazzolla, la Suite italienne tirée de Pulcinella de Stravinsky, mais aussi des arrangements d'une Bossa Nova de Quincy Jones ou d'extraits de comédies musicales de Michel Legrand. La grande palette expressive de Siranossian et de son complice Nathanaël Gouin au piano réussit à nous faire passer d'un univers à un autre sans que l'on ait jamais la sensation du hors-sujet. Une prouesse interprétative qui trouve à mon sens sa meilleure expression dans l'énergie du Grand Tango de Piazzolla, et la caractérisation du Menuet et final de la Suite italienne (écoutez comme la ligne du violoncelle passe de la texture la plus aérienne aux accents les plus telluriques vers 2'12).

Mais le vrai cadeau de ce disque, c'est naturellement ces pièces pour violoncelle et piano de Nadia Boulanger, d'une délicatesse infinie, où perce tout l'amour de la professeure- compositrice pour le grand répertoire (Bach en premier). Un triptyque plein de tendre mélancolie, composé trois ans avant la mort de sa sœur Lili mais où sourd une inquiétudetouchante. Siranossian s'y offre le luxe d'un partenaire d'exception, lui-même élève de Nadia Boulanger, ici tout en dévotion et en retenue: Daniel Barenboïm.

Le Figaro
20 November 2020