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Dunedin Consort - Handel: Samson - ConcertoNet

Après avoir été en Grande-Bretagne le héros de l’opéra seria italien, Georg Friedrich Händel répondit aux attentes nouvelles du public en devenant le compositeur par excellence de l’oratorio, usant de la langue anglaise et véhiculant un message humaniste fondé sur des valeurs solides, à mille lieues de l’action de certains opéras qui trouvaient leurs racines dans les anciens récits de l’Antiquité ou du Moyen-Age. Händel avait découvert l’oratorio lors de son séjour en Italie dans les années 1706-1710 et avait, à cette occasion, déjà composé les chefs-d’œuvre que sont Il Trionfo del Tempo e del Disinganno (1707) et surtout La Resurrezione (1708). Basé sur un livret de Newburgh Hamilton, tiré de l’œuvre de Milton Samson Agonistes, l’oratorio Samson fut créé au mois de février 1743 et connut immédiatement un immense succès qui ne s’est guère démenti depuis.

Le présent enregistrement doit beaucoup au caractère érudit de John Butt, excellent connaisseur de l’œuvre de Händel. Comme il l’explique lui-même dans la notice très complète d’accompagnement (malheureusement en anglais seulement), cette version se fonde sur deux nouvelles éditions respectivement établies par Donald Burrows (Novello, 2005) et Hans Dieter Clausen (Bärenreiter, 2011) et nous offre en premier lieu des récitatifs beaucoup plus développés que dans d’autres versions, le chœur «classique» étant en second lieu doublé par un chœur d’enfants, au niveau de la ligne des sopranos. Il en ressort une version assez longue (près de trois heures et demie soit, par exemple, une heure de plus que la version Harnoncourt par exemple!) qui séduit néanmoins l’auditeur à bien des égards.

Commençons fort logiquement par le personnage de Samson, qui s’avère bien plus complexe qu’on ne voulait bien l’entendre au XVIIIe siècle. Joshua Ellicott y est excellent! Il assume ainsi avec une grande assurance certains des plus beaux passages de l’oratorio à l’instar de ce «Torments, alas, are not confin’» (concluant la scène 1 de l’acte I), de l’air «Total Eclipse» (scène 2, acte I), où il susurre véritablement les premiers mots, bénéficiant d’un timbre paradoxalement solaire pour de telles paroles, ou de l’air tout aussi renversant «Thus when the sun from’s wat’ry bed» (acte III, scène 1). S’il fait montre d’une musicalité et d’une aisance évidente, son personnage gagnerait à parfois être davantage caractérisé. Précisons enfin que la voix d’Ellicott bénéficie souvent du fait d’être accompagnée, les duos le mettant particulièrement en valeur à l’image du très vigoureux «Go, baffled coward, go», où il échange avec Vitali Rozynko, irréprochable. Dans le rôle de Manoa, Matthew Brook est également remarquable, notamment dans le superbe «Glorious Hero» (acte III, scène 3); dommage que le chœur l’accompagnant ne soit pas toujours idéal dans ses sonorités, on va y revenir. Admettons néanmoins que la tenue de la voix est moins stable que dans d’autres versions (j’en reviens à celle d’Harnoncourt mais avouons que l’air «Thy glorious deeds inspir’d my tongue» y est beaucoup plus impressionnant); pour autant, un excellent chanteur en l’espèce. Une des étoiles montantes du répertoire baroque, Hugo Hymas, livre une très belle prestation dans sa globalité mais force est de constater qu’aucun air ne reste gravé en mémoire après son écoute, hormis peut-être son «Great Dagon has subdu’d our foe» (acte III, scène 2).

Les voix féminines offrent également un bilan quelque peu contrasté. Si Sophie Bevan chante avec justesse le très bref rôle de Dalila (essentiellement la deuxième scène de l’acte II avec, à la clé, le superbe duo «My faith and truth», chanté ici avec Fflur Wyn, un des sommets de l’oratorio!), sa sœur Mary n’offre qu’une prestation honorable, faute d’émotion (quel prosaïsme dans l’air «With plaintive notes» à l’acte II!), sa voix atteignant parfois également quelques limites techniques, en particulier dans le registre le plus aigu. Enfin, dans le rôle de Micah (un des amis israélites de Samson), la contralto Jess Dandy ne convainc guère, ayant une furieuse tendance à poitriner (l’air «O mirror of our fickle state!» à la scène 2 de l’acte I), sa voix étant assez neutre là où, pour reprendre la version Harnoncourt, le contre-ténor Jochen Kowalski savait se montrer plus cinglant, sans concession, bref plus intéressant.

Choix volontaire de John Butt, le chœur est donc ici épaulé par un chœur d’enfants: le résultat à l’oreille n’est pas toujours convaincant, en raison d’un léger manque de stabilité des voix aiguës, le timbre global pouvant même s’avérer de temps à autre quelque peu aigrelet. L’orchestre est excellent du point de vue technique mais, là encore, on regrette parfois un certain prosaïsme. L’accompagnement des airs «With plaintive notes» ou «Ye men in Gaza», par ailleurs bien chantés, met en valeur des instrumentistes assez raides, ne distillant aucune sensualité, et contribuant à faire de l’ensemble de cet enregistrement un objet dont l’intérêt s’avère plus musicologique que strictement musical. On l’aura compris: nous en resterons pour notre part, et quand bien même il s’agirait d’une édition allégée, à la version Harnoncourt enregistrée en concert au Musikverein de Vienne au mois de mai 1992 et qui demeure à nos yeux la plus belle version actuellement disponible de cet oratorio, certains passages tenant du miracle (Teldec).

ConcertoNet
29 December 2019