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Martin Helmchen, Andrew Manze & DSO Berlin - Beethoven: Piano Concertos 1 & 4 - Res Musica

Après les Concertos n° 2 et n° 5 de Beethoven, Martin Helmchen et Andrew Manze proposent un nouvel album de leur intégrale (avec les Concertos n° 1 et n° 4). Malgré d’indéniables qualités musicales, celle-ci pose à nouveau la problématique de choix esthétiques non-résolus.

Beethoven_Helmchen_Manze_AlphaLe Concerto pour piano n° 1 s’ouvre par petites touches successives aux cordes, comme inquiètes par la brièveté de leur propre émission. Comment « chanter » sans vibrato ? Une question sans vraie réponse… De leur côté, les bois fruités sont touchants de délicatesse, de pudeur presque. Ce beau décor encore mozartien aurait mérité un pianoforte, un Walter, un Graf, un Erard… Pourtant, Helmchen nous propose les couleurs d’un instrument moderne (l’excellent Steinway à demeure au Studio Teldex ?). Orchestre et soliste jouent ainsi séparément. Le toucher d’Helmchen brille toujours par sa finesse, une technique fluide, une intelligence des phrasés sans faille, une conception bien ancrée dans le romantisme de la fin du XIXᵉ siècle, à l’inverse de l’orchestre, « historiquement informé », faisant référence aux années 1800. De fait, réunir deux esthétiques, c’est superposer des univers dont l’un devient le faire-valoir de l’autre : le clavier impose d’autant plus sa présence, qu’il est capté au premier plan. Nulle surprise à attendre, donc, entre sa monochromie aussi subtile que prévisible et un orchestre décoratif (jusqu’aux timbales d’une rutilance délicate). En somme, tout le confort de la berline allemande avec le bourdonnement suranné de la Volkswagen Coccinelle ! Le Largo tient de cette curiosité, entre sérénade mozartienne dont la clarinette concertante est à féliciter et un piano pensé dans la moindre respiration. Dans les premières mesures du Rondo, le jeu du soliste se raidit comme pour anticiper l’entrée de l’orchestre. Celui-ci se place en arrière-plan, offrant quelques éclairages efficaces grâce à la direction consciencieuse de Manze. Mais, ni l’orchestre ni le soliste ne partagent, par exemple, l’humour de quelques passages, petits hommages à Haydn.

Dans le Concerto n° 4, le piano devrait entrer presque avec hésitation et ne rien laisser présager de l’énergie qui va se déployer. L’orchestre souligne quelques accents théâtraux, mais curieusement, le style est plus schubertien que beethovénien. De son côté, le piano qui occupe tout l’espace, fait preuve d’une grande noblesse de ton, jouant avec un lyrisme mesuré. Il est bien seul. En lieu et place du dialogue combattif que l’on attend, se produisent de jolis effets aux cordes graves et au hautbois. Sans vibrato, l’Andante con moto impose un effet de marche essoufflée alors que le legato du piano, vibrant d’intentions, propose exactement le contraire. Dans cette page, les oppositions sont nécessaires, mais perdent de leur cohérence lorsque les expressions dramatiques du soliste et de l’orchestre ne sont pas complémentaires. Le finale offre une heureuse surprise : pour une fois, orchestre et piano s’accordent avant que l’interprétation ne redevienne séquentielle. Tout cela est pourtant plein d’ivresse et la cadence, d’une intelligence musicale rare. Une conception décidément étonnante de l’œuvre de Beethoven.

Res Musica
01 May 2020