Filters

Orchestre Philharmonique Royal de Liège - Dupont: Complete Symphonic Works - Res Musica

Avec cet album consacré au corpus symphonique de Gabriel Dupont qui sera pour beaucoup une agréable découverte, Patrick Davin et l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège rendent un bel hommage à ce compositeur français injustement oublié.

Élève de Massenet, titulaire d’un deuxième Prix de Rome (après Caplet, mais devant Ravel), Gabriel Dupont (1878-1914) est l’auteur d’une œuvre assez éclectique, comprenant nombre de mélodies, de pièces pour piano et d’opéras dont la célèbre Cabrera donnée avec un succès notoire à la Scala. Son corpus symphonique, en revanche assez limité, manque peut-être un peu de spécificité, souvent évoqué au travers de références aux grands maîtres français ou germaniques, mais témoigne d’une science consommée de l’orchestration. Une œuvre toute empreinte de mélancolie, marquée par la présence constante en filigrane de la fatalité, de la maladie et de la mort.

Les Heures dolentes, composées en 1903-1905, dont Gabriel Dupont orchestra secondairement en 1906 quelques pièces, à partir d’un cycle initial écrit pour le piano, sont contemporaines des premières attaques de la tuberculose qui l’emportera quelques années plus tard. Épitaphe ouvre le cycle par les sonorités graves et profondes, amples et solennelles des contrebasses et des cors. L’orchestration riche, très colorée, est ici parfaitement rendue par la direction claire et nuancée de Patrick Davin, dans l’évocation de climats tantôt élégiaques, tantôt épiques. Des enfants jouent dans le jardin, annoncé par les fanfares de cuivres marquent un instant d’insouciance et de gaité, tempéré toutefois par une certaine inquiétude sous-jacente. Les sonorités claires des vents et de la harpe soutiennent une grande profusion thématique et rythmique aux accents parfois hispanisants. Le soir tombe dans la chambre renoue avec la mélancolie du convalescent. Se déployant dans une ambiance recueillie, cordes, vents et harpes y développent des couleurs mordorées d’où se dégagent le violon solo et la clarinette basse, avant que Nuit blanche-Hallucinations ne laisse libre cours à ses visions cauchemardesques dans une progression inexorable et effrayante (cor anglais, cuivres graves et percussions).

Bien différent, composé en 1900, avant la découverte de sa maladie, le tryptique symphonique Jour d’été illustre une musique d’inspiration typiquement « française » par son élégance et sa lumineuse clarté, dans le style d’Emmanuel Chabrier. Matinée ensoleillée rayonne par sa dynamique jubilatoire, par l’excellence des pupitres orchestraux et notamment des vents. Sous-bois, à contrario, est habité d’une douce mélancolie, frappante par la beauté de sa ligne mélodique et son atmosphère bucolique sous tendue, une fois encore, par des cuivres irréprochables (cors) tandis que Nocturne retourne à une ambiance plus sombre, en demi-teinte.

Le Chant de la Destinée, composé en 1908, clôt avec éclat cette intégrale symphonique dans un affrontement quasi tellurique des masses orchestrales qui s’opposent avec fracas au sein d’un tissu orchestral dense et foisonnant, aux allures quelque peu straussiennes, très extraverties et volontiers dramatisées. Extases, angoisses, souffrance, mais aussi espérance animent cette partition épique qui constitue un véritable exercice d’orchestre où l’excellence solistique de la phalange belge, la dynamique et la clarté de la direction se conjuguent pour restituer à cette musique tout son pouvoir d’évocation, sa poésie, et la soustraire, enfin, à un oubli bien malvenu.

Res Musica
09 May 2019